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Chose 002296 (Mount Whymper)

la fin de novembre 1986, John Hawley tait incarcr l’tablissement Frontenac, un pnitencier scurit minimale situ Kingston, en Ontario, au , quand il a propos aux autorits carcrales de raliser une peinture murale dans la salle des visiteurs et de la correspondance. Hawley purgeait une peine de dix ans d’emprisonnement pour une srie de vols main arme perptrs en 1980. Il a prsent aux autorits un petit portfolio de photographies afin qu’elles choisissent un thme appropri. En dcembre 1986, le concept d’une peinture base sur une photographie du mont Whymper, dans le parc national Kootenay est approuv. Le 23 janvier 1987, Hawley a reu du comit de travail la permission crite d’entreprendre son projet suggr. Le dtenu est transfr au Dpartement des services communautaires dirig par Bernard Aucoin. Au lieu d’une peinture murale, les autorits et l’artiste se sont entendus sur la ralisation d’une toile de grande dimension. Du matriel d’art ainsi qu’un panneau de masonite de 3 mtres carrs sont commands et l’accs la salle de loisirs est accord au dtenu pour qu’il puisse peindre pendant ses heures de travail. Au terme de quatre mois, Hawley a termin Mount Whymper; il a employ une technique l’arographe pour cette grande toile l’acrylique. Le 10 avril 1987, l’œuvre est encadre et installe sur un mur de la salle manger.

En octobre 1987, John Hawley a obtenu une libration conditionnelle. Ds sa sortie, il a commenc grer un florissant studio commercial d’art et de design Toronto. La toile Mount Whymper est demeure en possession de l’tablissement Frontenac.

Hawley a dclar qu’il avait t dpossd de son œuvre d’art acheve en prison. Dans une poursuite contre le directeur de prison George Downing et les Services correctionnels du Canada, il a affirm que la toile lui appartenait et que l’tablissement Frontenac n’avait pas le droit de la garder. Le pnitencier a soutenu que cette œuvre lui appartenait en droit, qu’elle avait t cre titre de commande par les autorits carcrales, qu’elle avait t ralise pendant les priodes de travail de Hawley et que la Couronne avait capacit pour ses droits. Le 24 avril 1990, l’affaire Hawley v.  a t entendue devant le tribunal de la Cour fdrale. Le juge Louis-Marcel Joyal a dclar :

[Hawley] affirme que la toile a t produite pendant ses temps libres. Cela ne faisait pas partie de ses tches assignes. Il estime avoir pris quelque 500 heures la raliser. C’est vrai qu’il avait accs son atelier chaque jour, mais il consacrait ses heures de travail diverses tches de peinture ou de design pour l’tablissement. Parmi celles-ci: il a refait les contours d’une murale existante dans la salle communautaire; il a effectu des retouches de peinture ici et l; il a conu le design puis peint une grande pour un organisme communautaire; il a cr des blasons pour l’tablissement, en plus de remplir des fonctions artistiques, par exemple peindre des enseignes, des roulettes et des panneaux de fte foraine pour le club Kinsmen, ainsi que d’autres tches semblables. [...] Le quart de travail de s’talait de 8 h 16 h, incluant une pause de 90 minutes 11 h 30. Ses temps libres se situaient approximativement de 18 h 23 h. De plus, puisque les dtenus avaient le droit de quitter leurs chambres 6 h, il avait le temps d’investir quelques heures libres de plus avant de commencer sa journe de travail 8 h. Selon [Hawley], il consacrait ses heures achever son œuvre. D’aprs son estimation, la ralisation du projet a exig quelque 500 heures et, de ce total, peine 100 heures taient pendant ses quarts de travail. [...] [Hawley] souligne qu’ son transfert l’tablissement , il avait apport un vaste inventaire de matriaux et d’outils d’artiste. Grce ses revenus passs et son salaire plus rcent de dtenu, il avait lou un compresseur et des bouteilles de gaz comprim afin de dvelopper sa technique l’arographe et la mettre en pratique pour la grande toile qu’il rvait de crer.

Selon le directeur de la prison, [Hawley] a reu une affectation spciale afin de raliser une peinture pour l’tablissement. Il a t dcid que l’ide d’origine d’une murale tait peu pratique. Le directeur de la prison a donn son approbation pour qu’une pice fasse office d’atelier. Le 8 janvier 1987, l’annonce officielle a t faite lors de la rencontre du comit de travail. [Hawley] serait assign M. Potter, le superviseur de l’entretien; mais quand ce dernier s’est plaint, [il] a t confi M. Aucoin, lesuperviseur des services communautaires. Ds lors, d’aprs ce que M. Downing avait compris, [Hawley] devait tre activement occup crer sa toile. Plusieurs semaines ont pass. Le directeur de prison s’est arrt rgulirement l’atelier. La toile avanait, mais lors de visites subsquentes il a remarqu que bien des dtails avaient t effacs par rapport ses visites prcdentes. [Hawley] et lui ont convenu que la salle des visiteurs et de la correspondance n’tait peut-tre pas le lieu idal pour installer la toile. La salle manger serait un meilleur endroit. [...] Le directeur de prison affirme qu’il tait parfaitement clair dans l’esprit de tous qu’une fois l’œuvre termine, elle appartiendrait l’tablissement. Cette affectation faisait partie de l’obligation de [Hawley] s’acquitter de ses quarts de travail en achevant la toile. Il tait pay pour le faire. Cela s’inscrivait dans son programme de radaptation. perfectionnerait ses comptences dans son mdium, tout en fournissant une œuvre d’art satisfaisante pour dcorer l’tablissement.

La directrice adjointe de la prison reconnat qu’il n’y avait pas de contrat crit comme tel pour faire une commande d’œuvre [Hawley] selon l’expression employe quant la demande officielle auprs d’un artiste pour la cration d’une œuvre d’art. Ceci ne l’inquitait nullement : aprs tout, le programme avait toujours t le choix de [Hawley].

M. Potter tait trs satisfait que [Hawley] devienne la responsabilit de M. Aucoin et il a accept contrecœur que les cots des fournitures, incluant le panneau de masonite, la peinture, les pigments et ainsi de suite, soient dduits de son budget.

M. Aucoin, parle longuement du programme de [Hawley] de janvier avril 1987. Selon lui, on avait attribu [Hawley] un atelier de peinture dans un coin de l’difice ddi au bricolage. [Hawley] devait passer ses heures de travail cet endroit afin de s’acquitter de sa tche. M. Aucoin visitait ce lieu de travail en moyenne quatre fois par jour. Il a observ les prparatifs de [Hawley] en vue du projet, la rquisition des matriaux, la peinture blanche au fini mat que [Hawley] a applique sur le panneau de masonite, les multiples mlanges de liants et de pigments que [Hawley] a mis au point et, en particulier, les nombreuses occasions o des parties de la toile taient peintes et effaces puis repeintes et effaces nouveau [...] M.  a ensuite dclar que [Hawley] avait travaill la conception de logotypes, mais qu’ sa connaissance, aucune autre affectation ne lui avait t attribue part ce projet de peinture.

L’avocat de [Hawley] enjoint la cour de considrer l’ensemble des lments de preuve au vu du fait que le crateur d’une œuvre est considr comme le propritaire du produit de sa main-d’œuvre. Une telle prsomption favorise largement [Hawley], surtout la lumire de ses propres preuves selon lesquelles l’œuvre qu’il a complte a t principalement ralise durant ses heures de loisir.

son tour, le procureur de la Couronne rappelle la cour que c’est la demande de [Hawley] lui-mme qu’on lui a attribu une affectation. En fait, [Hawley] a t pay pour celle-ci et ds l’achvement de l’œuvre, le titre de proprit choit donc la .

L’affectation d’origine de [Hawley] tait de crer une murale pour la salle des visiteurs et de la correspondance. Pour une raison quelconque, cette murale est devenue une toile de grande dimension tre installe dans la salle manger [...] [T]out compte fait, les lments de preuve, surtout ceux de la preuve documentaire, plutt d’une relation de travail tablie quant la toile Mount Whymper et, conformment l’article 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur, la proprit de celle-ci est dvolue la . [...] Il faudrait d’abord que j’tablisse que tous les dtenus de Frontenac devaient avoir un emploi rmunr. Le gain n’tait peut-tre que d’environ 6 $ par jour, mais il rsultait nanmoins d’un emploi. Cette affectation prcise avait t attribue , il convient de le rappeler, la demande du dtenu lui-mme. C’est qui avait propos de peindre une murale sur un mur de la salle des visiteurs et de la correspondance. C’est qui avait dmontr ses talents artistiques et russi faire approuver son projet. Ds le 23janvier 1987, tel qu’il est not dans l’article P-4, on reconnaissait qu’il tait maintenant l’artiste de l’tablissement embauch pour peindre une grande murale dans la salle des visiteurs et de la correspondance. Le fait que la grande peinture murale est devenue une grande toile accroche au mur de la salle manger est sans consquence. [...] Je conclus galement que l’achat de diverses fournitures d’artiste pour l’achvement de l’œuvre, de mme que les achats subsquents pour son encadrement dcrits par [Hawley] lui-mme comme tant aux fins de l’tablissement, correspondent l’excution de l’affectation de raliser cette tche au nom de cet tablissement. mon avis, il n’aurait pas t conforme aux politiques de l’tablissement, ni son programme d’affectations du comit de travail, ni sa supervision ncessaire et continue pour l’excution de ces affectations comme il se doit, de conclure qu’on laisserait entirement libre de s’adonner toute activit artistique pendant une priode de trois mois, et qu’une fois acheve l’œuvre qu’on lui avait commande expressment, la proprit de cette dernire lui demeurerait dvolue. [...] De plus, il est tout fait possible que [Hawley] ait consacr bon nombre de ses heures de loisir au projet. [...] Qu’il ait t motiv par l’envie de perfectionner sa technique l’arographe ou par ses dsirs cratifs de faire de cette grande toile une œuvre de qualit et un reflet plus fidle de ses talents en devenir, tout cela appartient au domaine du possible ou du probable. Je n’ai pas, cependant, rendre des conclusions prcises ce sujet parce qu’ mon humble avis, cela n’a aucune incidence sur la proprit de la toile. Une grande quantit importante de preuves documentaires soumises dmontrent que [Hawley] a continu acheter des fournitures d’artiste, ce qui mne conclure que la grande toile a t effectue avec ses propres matriaux, et ce, comme il l’indique lui-mme, durant ses temps libres. nouveau, cependant, une telle conclusion ne concorde pas avec le fait que les fournitures artistiques pour cette toile ont t portes au compte de l’tablissement, notamment l’achat des matriaux d’encadrement pour celle-ci. Malheureusement pour [Hawley], selon la preuve devant moi, rien ne prouve que les conditions de son affectation ont t amendes ou modifies au cours de la priode de trois mois s’talant de janvier avril 1987. Aucune partie ne m’a fourni de preuve selon laquelle, nonobstant les conditions de l’entreprise d’origine, qu’un nombre important de tches avait t attribu [Hawley] et que l’on pourrait conclure qu’une telle entreprise a bel et bien t abandonne d’un commun accord et que [Hawley] a pu par la suite achever celle-ci de son propre chef et pour son bnfice personnel. mon avis, la pice D-5, le rapport de progrs trimestriel paru en avril 1987 reconnu par [] et faisant tat qu’il tait employ faire une grande murale qui sera affiche un endroit visible dans cet tablissement, vient en fait fermer la porte ce raisonnement avanc par son avocat. [...] En substance, [] avait t affect produire une grande murale pour la salle des visiteurs et de la correspondance. Je constate que d’un commun accord, ceci est devenu une grande toile pour la salle manger. La scne dpeinte par la toile, savoir le mont , avait galement t choisie d’un accord gnral. [Hawley] a cr exactement ce qu’on lui avait demand de faire. Consquemment, peu importe les honntes perceptions que [Hawley] a pu acqurir tandis que le travail progressait, celles-ci sont outrepasses en majeure partie par la preuve plus objective laquelle j’ai fait rfrence et qui situe manifestement la question dans le cadre du simple droit contractuel ou dans le cadre de la Loi sur le droit d’auteur. En effet, je conclus qu’en considrant une œuvre littraire ou une œuvre d’art cre par un dtenu dans un environnement pnal, il n’y a pas lieu d’appliquer des critres diffrents ou de droger aux rgles normales.

Les politiques de l’tablissement Frontenac, l’instar de celles de prisons semblables, ne stipulent que des conditions circonscrites selon lesquelles un dtenu peut tirer un profit ou un gain financier de ses propres activits exerces durant ses temps libres. Il en va autrement pour le produit d’une telle main-d’œuvre d’un dtenu lors de ses heures de travail. Tout arrangement que les Services correctionnels auraient autrement t en mesure d’offrir pour traiter cette crance aurait, selon moi, srieusement compromis, tant du point de vue carcral que moral, le schma de l’ensemble du programme de travail en vigueur dans cet tablissement.

La Cour a rejet la poursuite de Hawley en dclarant qu’il s’agissait d’un travail la commande et que les droits d’auteur de la toile appartenaient l’employeur, c’est–dire la Couronne.